Séminaire d’équipe « Traduire le genre » 2020-2021

Descriptif

Ce séminaire mensuel, réunissant l’ensemble de notre laboratoire, mais ouvert à tou.te.s, met la notion de traduction – dans divers sens, linguistique bien sûr, mais aussi culturel et politique – au centre d’une réflexion sur les potentialités mais aussi les limites des études de genre en tant que champ de recherche à la fois transdisciplinaire et transnational. Pour étudier le transfert d’idées au-delà des frontières, le genre est en effet un exemple privilégié, tant les études de genre s’internationalisent. En outre, aujourd’hui, l’internationalisation des campagnes contre la (supposée) « idéologie (ou théorie) du genre » contribue à diffuser le mot bien au-delà du monde universitaire, ce qui nous engage à réfléchir à nouveaux frais à son impact social en même temps qu’à sa portée politique. Il convient donc de réfléchir en mobilisant la notion de traduction culturelle, comprise comme une théorie et une pratique qui révèlent les limites des discours hégémoniques et universalisants, aidant ainsi à « situer » la connaissance dans des contextes précis. Le « genre » n’est pas un concept qui peut être utilisé universellement, indépendamment des contextes, selon des paramètres préfixés ; au contraire, cette notion se trouve modifiée et enrichie lorsqu’elle est employée dans des contextes politiques et culturels divers et en particulier dans des langues différentes.

Ce séminaire posera un ensemble de questions. Comment différents contextes sociaux infléchissent-ils les multiples manières d’interpréter, de manier, de lire le genre ? Quels types de traduction politique et culturelle accompagnent-ils chaque franchissement des frontières géographiques, linguistiques ou disciplinaires ? Comment le genre se traduit-il (ou pas) dans différents contextes théoriques, que ce soit dans les sciences sociales, les études littéraires, la philosophie, les sciences dites « dures », etc. ?

Le séminaire se tiendra chaque mois, un vendredi de 17h00 à 19h00. Nous donnerons la parole à des invité·e·s, praticien·ne·s ou théoricien·ne·s de la traduction, dans divers domaines (lettres et philosophie, sciences sociales, arts, etc.).

 

En raison de la situation sanitaire, le séminaire se déroule en ligne. Merci de bien vouloir envoyer un courriel à l’adresse ilana.eloit@cnrs.fr afin de vous inscrire. Un message vous sera ensuite envoyé avec le lien de connexion pour suivre la séance à distance. 

Calendrier des séances

Séance 1 : 6 novembre 2020 de 17h00 à 19h00

Lieu : En ligne.

Aura Sevon (Université de Turku), traductrice en finnois avec Heta Rundgren de Le rire de la Méduse et autres ironies, Paris, Galilée, 2010: Medusan nauru ja muita ironisia kirjoituksia, Helsinki: Tutkijaliitto, 2013.

Dialoguer avec l’intraduisible et le traduisible dans l’oeuvre d’Hélène Cixous

Qu’est-ce qui est traduisible ? Qu’est ce qui est intraduisible ? Comment la traduction littéraire diffère-t-elle de la traduction des concepts philosophico-théoriques ? Travailler dans le contexte des textes d’Hélène Cixous, souvent considérés comme étant intraduisibles, et qui naviguent entre le poétique, le politique, le philosophique et le chamanique, nous amène au bord des questions quintessentielles liées à la traduction. Dans le cadre de cette présentation, Aura Sevón parlera de son travail récent de traduction en finnois de l’essai La Venue à l’écriture (1976) d’Hélène Cixous.

James Horton (ENS Ulm), thèse en cours: « There is no guide no voice no word »: le cut-up et ses praticiens, histoire et poétique d’un underground international, 1959-1975.

Cutting-up men, cutting-up women : genre, sexualité et traduction chez Mary Beach et Valerie Solanas.

Si Valerie Solanas (1936-1988) est bien connue en tant que féministe radicale et autrice de l’incandescent SCUM Manifesto, les enjeux traductologiques propres à l’ensemble de son œuvre sont moins évidents à prime abord. Inversement, si elle reste une figure marginale dans l’histoire culturelle des années 1960, la traductrice, artiste, écrivaine et éditrice franco-américaine Mary Beach (1919-2006) a joué un rôle important dans le champ de la traduction et des échanges culturels transatlantiques grâce à son travail sur les textes d’écrivains tels William Burroughs et Allen Ginsberg.

Quoique leurs vies soient radicalement différentes, il existe de nombreux parallèles entre les trajectoires Beach et Solanas, notamment dans le mesure où elles deviennent toutes deux associées au geste ambigu de « cutting up » : Solanas par le titre alternatif de son manifeste – SCUM devenant par moments un acronyme pour SOCIETY FOR CUTTING UP MEN – et Beach par son travail de traduction et d’édition autour les textes « cut-up » de Burroughs. Par le réagencement et la réécriture qu’il implique, ce geste de « cutting up » fonctionne, chez l’une comme chez l’autre, comme une figure de traduction ironique, ludique et parfois violente.

À travers une étude croisée des dimensions poétiques, sociomatérielles et circulatoires des œuvres respectives de Beach et de Solanas, je tâcherai ici de mettre au jour les interactions de classe, genre, sexualité et traduction dans leurs pratiques et leurs parcours au sein du milieu homosocial de la contreculture newyorkaise au moment de l’essor de la seconde vague féministe.

Présentation du séminaire en début de séance.

Séance 2 : 27 novembre 2020 de 17h00 à 19h00

Lieu : En ligne.

Marta Segarra (CNRS – Université de Barcelone). Dernier ouvrage: Hélène Cixous, Lettres de fuite. Séminaire 2001-2004 (édition de Marta Segarra), Paris, NRF Gallimard, 2020.

Lettres de fuite: Édition du Séminaire d’Hélène Cixous.

Le travail théorique et critique d’Hélène Cixous, plus connue par son œuvre de fiction et pour le théâtre, a surtout été élaboré publiquement au séminaire qu’elle donne annuellement depuis près d’une cinquantaine d’années. Aussi ce séminaire appartient-il à l’époque « glorieuse » de la pensée française, aux côtés des séminaires de Jacques Derrida, Michel Foucault, Jacques Lacan ou Roland Barthes, mais, à la différence de ceux-ci, celui d’Hélène Cixous était resté inédit jusqu’à aujourd’hui. Le travail d’édition de ce séminaire, dont la trace gardée est presque exclusivement orale, a commencé en 2016 et vient de donner un premier fruit avec le volume Lettres de fuite, qui recueille les années 2001-2004 et qui vient de paraître chez Gallimard.

Caroline Ibos (Université Rennes 2, LEGS). Dernier ouvrage: avec Aurélie Damamme, Pascale Molinier et Patricia Paperman, Vers une société du care. Une politique de l’attention, Paris, Le Cavalier Bleu, 2019.

La bataille des squares. Travailleuses domestiques en lutte à l’intersection des rapports sociaux. Paris, 2012-2020.

Centrée sur l’observation d’un syndicat précaire de travailleuses domestiques né des squares, cette recherche analyse les résistances de femmes que la sociologie enferme souvent dans une « domination rapprochée ». Bien au contraire, entre action collective et usages contestataires du droit, leurs luttes dévoilent ce que les discours et les pratiques institutionnelles, juridiques, spatiales et affectives prétendent dépolitiser. Des entraves de la politique des frontières au droit du travail, du contrôle de la famille à l’assignation au care, leurs discours et leurs actions tentent de déjouer les dispositifs d’altérisation au coeur de l’ordre social.

Séance 3 : 11 décembre 2020 de 17h00 à 19h00

Lieu : En ligne.

Arthur Clech (Sorbonne Université), « De tema à queer : traduction des sexualités et transition politique. URSS, Russie et Géorgie contemporaine ».

Pour se désigner, des hommes et femmes vivant un désir homosexuel usent de l’expression [byt’] v teme, littéralement « [être] dans le thème », dans le sujet », c’est-à-dire si l’on s’en tient d’abord à une définition générique, « être au courant ». Cette expression révèle un commun au sein des subjectivités homosexuelles soviétiques et, dans une moindre mesure, post-soviétiques : ce qui est mis en avant, c’est le fait d’« en être », de participer d’un même « savoir », de le partager, d’y être initié. Le terme « tema » est encore employé aujourd’hui non seulement en Russie mais aussi dans l’espace post-soviétique : en géorgien par exemple, on trouvera «temashia», ou ses équivalents, «esmis» (celui ou celle qui comprend). Dans tous les cas, ces termes sont non genrés et se situent en dehors des cadres de la culture hétéronormative. Cela permet de penser la subjectivité homosexuelle sans établir une distinction genrée que le russe contemporain, par exemple, donne à travers le terme de « gay », pour les hommes, et de « lesbiennes », pour les femmes. Les termes soviétiques de goluboj (signifiant littéralement « bleu ciel ») pour les hommes homosexuels et, celui, moins fréquent de rozovaâ (signifiant littéralement « rose ») pour les femmes homosexuelles, évoquent le même ton pastel comme pour redire ce sens du commun qui évoluera après la chute de l’URSS pour laisser place à une plus grande spécialisation. L’imprécision intentionnelle de ce terme présente l’avantage de désigner les siens, de se reconnaître sans se tromper et sans se trahir. En ce sens, il peut être rapproché du terme employé en anglais par les homosexuel·le·s noirs américains durant la première moitié du XXe siècle : être « in the life », qu’ils partageaient avec d’autres populations noires marginalisées (prostitués, joueurs (gamblers), etc.).

Arthur Clech est l’auteur de la thèse « Des subjectivités homosexuelles à l’époque soviétique tardive : entre solidarités et culture du soupçon ». Paris : EHESS, 2018.

Caroline Ibos (LEGS, Université Rennes 2), discutante.

Séance exceptionnelle : 8 janvier 2021 de 17h00 à 19h00

Lieu : En ligne.

Co-organisation Séminaire « Traduire le genre » [Anne Berger et Ilana Eloit – LEGS] et Atelier « Genre, Sexualités et Féminismes dans les mondes hispanophones » [Claudia Jareño Gila (Agora, Cergy Paris Université), Vicente Lopez Clemente (Agora, Cergy Paris Université / Imager, Université de Créteil) et Anne-Claire Sanz Gavillon (ERIAC, Université Rouen)]

Présentation de la parution en français de Devenir chienne [Devenir perra, 2009] de Itziar Ziga, par les traductrices Diane Moquet et Camille Masy.

Quatrième de couverture des Éditions Cambourakis:

« Itziar Ziga a grandi dans une cité au Pays basque espagnol, entre nuages toxiques et terrains vagues vert fluo. Elle aime les boas à plumes, se déguise parfois en camionneur et se désigne elle-même comme une chienne. Ce livre fait preuve d’une liberté et d’un enthousiasme furieusement contagieux. Il témoigne d’un activisme joyeux marqué par le travestissement, les performances de rue, et porte les revendications brutales de celles et ceux qui restent aux marges d’une société qui les condamne. Préfacé par Virginie Despentes et Paul B. Preciado, Devenir chienne relève autant du portrait collectif que de l’essai autobiographique. Itziar Ziga y décrit l’expérience d’une féminité subversive car hyperbolique et parodique. Prostitution, voile, sexualités, transidentité, précarité sociale sont autant de thématiques qui traversent le texte, dans une démarche résolument intersectionnelle et anti-assimilationniste. »

Alejandra Peña Morales (LEGS, Université Paris 8), discutant·e.

Séance 4 : 5 février 2021 de 17h00 à 19h00 

Lieu : En ligne.

Mona Gérardin-Laverge (Université Paris Nanterre), auteure de la thèse Le langage est un lieu de lutte. La performativité du langage ordinaire dans la construction du genre et les luttes féministes. Paris : Université Paris 1 Panthéon – Sorbonne, 2018.

Luca Greco (Université de Lorraine), auteur de Dans les coulisses du genre. La fabrique de soi chez les drag kings. Limoges : Lambert Lucas, 2018.

Performance et performativité du genre à partir de et au-delà de Austin et Butler

Cette communication se fera à deux voix: celle d’une philosophe et d’un linguiste. A partir d’un cadre théorique s’inspirant de la linguistique queer et de la philosophie féministe, nous interrogerons les travaux d’Austin et de Butler sur les notions de performativité et de performance de genre à partir de deux enquêtes menées par les deux invitéEs à ce séminaire: un corpus de slogans féministes et d’ateliers drag kings. Une première analyse de ces données nous permettra d’interroger les pierres d’achoppement de ces deux notions par une vision empirique, temporelle et multimodale des processus de construction et de deconstruction du genre et de proposer une vision ‘locale’ (des participantEs à l’interaction) de la performativité de genre, ce que nous appelons une compétence méta-performative.

Séance 5 : 12 mars 2021 de 17h00 à 19h00 

Lieu : En ligne.

Tiphaine Samoyault (Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, directrice d’études à l’EHESS), auteure de Traduction et violence, Paris: Le Seuil, 2020. 

Titre de l’intervention: La moindre autorité de la traduction.

Anne Berger (LEGS, Université Paris 8) et Marta Segarra (LEGS, CNRS), discutantes.

Séance 6 : 9 avril 2021 de 17h00 à 19h00 

Lieu : En ligne.

Anne-Emanuelle Berger (LEGS, Université Paris 8), dir. avec Giuseppe Sofo du numéro « Le genre de la traduction », De Genere, n°5, 2019.

Giuseppe Sofo (Università Ca’ Foscari, Venise), dir. avec Anne Emanuelle Berger du numéro « Le genre de la traduction », De Genere, n°5, 2019.

Séance 7 : 7 mai 2021 de 17h00 à 19h00

Lieu : En ligne.

Florence Lotterie (Université de Paris), dir. avec Anaïs Albert et Patrick Farge du numéro « Les mots du genre », Écrire l’histoire, à paraître.

“Autour du thématique ‘Les Mots du genre’ de la revue Ecrire l’histoire (2021) »

Cornelia Möser (CRESPPA, CNRS), auteure de Féminismes en traduction. Théories voyageuses et traductions culturelles, Paris: Éditions des archives contemporaines, 2013; avec Marion Tillous (dir.), Avec, sans ou contre. Critiques queer/féministes de l’État, éditions iXe, 2020.

« Traduire le sexe dans la pensée féministe et LGBTQ »

Résumé : En tant que mouvement internationaliste, le féminisme a dans sa production théorique toujours été marqué par la traduction et la circulation des savoirs. Ses notions sont le résultat de multiples traductions culturelles. Dans un premier temps je reviens sur la notion de traduction productive et dans un deuxième temps je propose d’exposer quelques éléments qui illustrent la manière dont la traduction intervient dans mon dernier projet de recherche sur la sexualité dans la pensée féministe et LGBTQ.

Séance 8 : 30 septembre 2021 de 17h00 à 19h00 

Lieu : En ligne. Séance en anglais et exceptionnellement un jeudi. 

Clare Hemmings (London School of Economics), auteure de Considering Emma Goldman: Feminist Political Ambivalence and the Imaginative Archive, Durham: Duke University Press, 2018. 

« Unnatural Feelings: the Affective Life of Anti-Gender Mobilisations »

This paper explores the central role that affect plays in contemporary global anti-gender mobilisations. The work adds to existing work in social science on the rise of these movements in the context of the Right by focusing on the narrative use of affect that is used to persuade audiences of empirically unverifiable claims. I highlight the importance of affects such as outrage and derision as mechanisms to present dominant views and subjects as marginal, and as a way of writing the history of ‘gender equality’ as one of violence done to ‘ordinary men and women’. The work explores the importance of affect for resistance to these anti-gender narratives too, calling for a feminist commitment to its own radical history of calling ‘sex’ into question in a range of ways.

Ilana Eloit (Université de Lausanne, Centre en Études Genre), auteure de la thèse Lesbian Trouble: Feminism, Heterosexuality and the French Nation (1970-1981), London School of Economics, 2018.

« Untranslatability as a Political Tool: The Americanization of Lesbianism in the French Women’s Liberation Movement »

In this presentation, I investigate what I call the « Americanization » of lesbianism in the 1970s French Women’s liberation movement – that is, the argument that lesbian identity is American and foreign to the French culture. I argue that the goal of this rhetoric was to construct an essentially heterosexual French feminism, as opposed to American lesbianism. I show that the heterosexual norm of 1970s French feminism is intrinsically linked to the universalist social contract, wherein heterosexuality is conceived as a democratic crucible where men and women harmoniously come together and differences are deemed divisive. 

Eric Fassin (Université Paris 8, LEGS), discutant.



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