Le Legs soutient la motion de l’Assemblée générale de coordination des universités et des labos en lutte, réunie le 14 décembre 2019 à Bagnolet

Le Legs soutient la motion de l’Assemblée générale de coordination des universités et des labos en lutte, réunie le 14 décembre 2019 à Bagnolet
Le darwinisme social est dangereux pour la santé de la recherche

En France, l’évolution néolibérale de l’Enseignement supérieur et de la recherche (ESR) est résumée par le changement d’intitulé pour la direction du CNRS : depuis 2010, il s’agit d’un PDG. C’est dire que la recherche est pensée comme une entreprise. Une déclaration récente d’Antoine Petit, qui occupe cette fonction, en tire les conséquences : le 26 novembre, il annonce « une loi ambitieuse, inégalitaire — oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne ». Si le darwinisme est bien la loi de la nature, il s’agit ici de définir une politique, autrement dit, des lois de la société. Le PDG du CNRS s’inscrit donc dans la filiation du darwinisme social au moment de promouvoir la Loi de programmation pluriannuelle (LPPR) qui nous menace.

Loin qu’elle « encourage les scientifiques » et « mobilise les énergies », cette politique décourage et démobilise. C’est d’abord qu’elle est beaucoup moins entrepreneuriale que bureaucratique : quand le poids de la hiérarchie s’alourdit sans cesse, l’autonomie de la recherche régresse. Ensuite, en s’attaquant au statut de maître.sse de conférences (MCF), il s’agit de prolonger la précarité qui pèse déjà sur les jeunes chercheuses et chercheurs avec des contrats provisoires et des rémunérations à la performance. Enfin, la LPPR va renforcer encore une logique qui est déjà à l’œuvre : le financement par projets. Au lieu de juger que les chercheuses et chercheurs, dont le recrutement est aujourd’hui extrêmement sélectif, ont la compétence requise pour définir des recherches qu’il importe de financer, on les soumet à une compétition sans fin. Les contraintes de l’évaluation permanente consument donc leur temps de travail. Et la créativité de la recherche recule en même temps que sa liberté. La finalité est inversée : au lieu d’avoir la disponibilité de mener ses travaux grâce à un budget annuel, on s’épuise à bricoler de multiples projets dans le but d’obtenir des financements. Le résultat, ce n’est donc pas l’efficacité. C’est le gâchis. En effet, l’inégalité revendiquée par le PDG du CNRS, loin d’être vertueuse, a des effets pervers bien connus. C’est ce qu’en sociologie des sciences, depuis Robert K. Merton, on appelle l’effet Matthieu (du nom de l’évangéliste) : « On donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a. » Les uns ont trop, les autres n’ont pas assez. C’est donc gaspiller l’argent public.

 

Les Sciences humaines et sociales (SHS) sont les premières touchées par ce recul de la liberté de la recherche. Et nous, membres du Laboratoire d’études de genre et de sexualité (LEGS), pouvons déjà annoncer que vont s’accroître toutes les inégalités, y compris en termes de genre. C’est ce qu’on appelle l’effet Matilda : dans cette concurrence, ce sont encore les femmes qui perdront le plus, et plus largement les études de genre et de sexualité ; on ne les jugera jamais assez compétitives… Pour toutes ces raisons, nous nous opposons à une politique « darwinienne » que la LPPR menace d’aggraver. Au lieu de nous mobiliser pour travailler ensemble, elle nous met en concurrence ; elle décourage la liberté de la recherche en imposant sa logique bureaucratique ; bref, elle nous empêche de travailler ou du moins de bien travailler, c’est-à-dire de faire notre métier. C’est pourquoi le LEGS soutient la motion de l’Assemblée générale de coordination des universités et des laboratoires en lutte, adoptée le 14 décembre 2019 à Bagnolet.

 

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